samedi 28 juin 2014

POURQUOI JE PEINS DANS LE NOIR ?

Rares sont les personnes qui m'ont vu peindre. La peinture se prête guère aux exhibitions et le peintre a besoin d'une concentration extrême. Pourtant, les quelques proches qui ont pu se glisser dans l'atelier ont toujours été sidérés : 


"comment fais-tu pour peindre dans le noir ?"





C'est une bien vieille histoire. Au début des années 90, j'ai inconsciemment amplifié ma pratique de la peinture. Ce qui n'avait été jusque là qu'une activité ludique devenait une nécessité quotidienne. Pendant une dizaine d'années, j'ai peint 6 heures par jour, tous les jours. Le seul problème : j'avais un métier, un vrai métier exigeant et chronophage que j'entendais exercer avec une conscience professionnelle irréprochable. 

Dès lors, je ne pouvais peindre que la nuit et je ne pouvais continuer à squatter la pièce à vivre. 

Avec l'aide experte de mon ami Guy, j'entrepris de construire un petit atelier de 20 m2 au fond du verger. 



Mon premier atelier


Chaque nuit, de 21 h à 3 h du matin, j'ai donc peint à la lueur d'une petite lampe de 40 watts. L'ambiance était plutôt cabine de bateau. Parlant de l'édifice, je le qualifiais souvent de "rafiot insubterrible qui ne verrait jamais la mer". Pourtant, la mer était partout, sur les toiles, dans ma tête et dans mes projets.

A la lumière de ma petite "loupiote", j'étais contraint de forcer les valeurs, d'intensifier les couleurs. Comme j'étais au bout de la ligne électrique au fin fond du marais vendéen, les pannes de courant étaient légion, surtout les soirs de tempête. Il m'est donc arrivé de peindre à la lueur d'une bougie. 

J'ai quelquefois peint en extérieur à la lumière du jour. Les résultats m'ont toujours déçu. Les couleurs étaient fadasses, les contrastes timides : je n'étais pas dans mon élément artificiel !

Au début des années 2000, alors que les expositions se succédaient "non stop" et que des opportunités gratifiantes se profilaient, j'ai dû faire un choix : la peinture ou mon métier. J'ai lâchement choisi mon métier qui me confrontait par ailleurs à une promotion loin du marais vendéen. Du jour au lendemain, j'ai totalement cessé de peindre. Mes proches me disaient : "tu pourras toujours peindre le week-end ou pendant les vacances, pour te faire plaisir !". Au fond de moi, je savais que cet ersatz était illusoire. C'était tout ou rien : repeindre à fond ou plus jamais. 

Lorsque j'ai repris, voici quelques mois, j'ai investi une petite pièce au sous-sol de la maison et j'ai réinstallé ma petite lampe sur le chevalet. Je ne peins plus la nuit, puisque la retraite m'a libéré du temps. Mais, chaque matin, lorsque j'arrive dans mon "estanco", je me garde bien d'ouvrir les volets pour éviter que les rayons du vrai soleil ne viennent troubler la lumière que j'aime imaginer. 

Voila pourquoi je peins toujours dans le noir. 

Voila pourquoi sans doute on m'a qualifié de "braconnier de la lumière", moi qui me cache dans le noir pour mieux capturer les couleurs...


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