vendredi 1 août 2014

MES MAÎTRES : Marc SCHMIDT - Jean CHEVOLLEAU

J'ai repris la peinture voici 4 mois après une interruption de 14 ans. En 4 mois, neuf toiles grand format ont vu le jour. 

Le premier constat : je peins de façon beaucoup plus réaliste. Mes proches me le confirment sans que je ne perçoive chez eux, ni regrets, ni d'enthousiasme flagrants. 
Alors, pourquoi cette évolution ?

Pour comprendre, il faut remonter très loin en arrière.

J'ai commencé à dessiner avant de savoir marcher. Il paraît qu'à 2 ans, je savais donner une forme à une 2CV Citroën ou à un chien. J'ai toujours dessiné... Au lycée, j'étais sollicité pour caricaturer les profs. Mais, je n'ai vraiment commencé à peindre qu'à l'age de 16 ans, lors d'un séjour en Espagne. A l'époque, j'étais fervent d'expressionnisme et je peignais à l'huile des visages imaginaires sur du papier Arches . Ces portraits ont été exposés durant l'année 1968 à Cluny en Saône et Loire. Par négligence et par manque de moyen de locomotion, je n'ai jamais récupéré mes oeuvres, ce que je regrette amèrement aujourd'hui.

Autodidacte, je me suis essayé à la gouache, puis à l'aquarelle. Cette dernière technique devenait d'ailleurs mon mode d'expression favori. Je devais avoir 28 ans lorsque je fis la connaissance de Marc SCHMIDT. Ce dernier entamait à 45 ans une carrière de professeur d'arts plastiques au Collège du Vallon à Autun (Saône et Loire). Son parcours avait été des plus brillants : après des études aux Beaux Arts de Paris, Marc était devenu responsable de la décoration des édifices français à Berlin, puis chef décorateur à l'ORTF et au cinéma avant de devenir créateur dans une célèbre entreprise de parapluies. 

Marc SCHMIDT connaissait toutes les techniques : dessin, peinture, aquarelle, décoration, sculpture, maquettisme, marqueterie, reliure, gravure... Une solide amitié se noua rapidement entre nous. J'ai beaucoup appris de Marc, en particulier la précision, la rigueur, la patience... J'étais impressionné par son aplomb, crayon en main, par cette faculté à ne tracer que des traits justes, pertinents, fidèles. Grâce à lui, j'ai perfectionné mon approche de l'aquarelle en peignant des miniatures. Pendant des années, j'ai ainsi débité des kilomètres de champs de tournesols sur des bandes de papier de 3 cm de hauteur. Le hasard  a voulu qu'au gré des affectations nous nous retrouvions dans les mêmes villes : La Clayette, Mâcon et Saint Jean de Monts. Mon prof ne me lâchait pas d'une semelle et me distillait de précieux conseils.



Marc SCHMIDT
Le passage du Gois (Vendée)
Dessin au crayon (1995)

Un jour, par hasard, j'ai découvert la peinture de Jean CHEVOLLEAU. Je compris immédiatement ce qui pouvait découler d'un mariage entre la technique et la poésie. J'avais sous les yeux ce que j'aurais tellement voulu réaliser. Hélas, sans m'en rendre compte, la quête de la technique à tout prix me privait de toute démarche émotionnelle et ma peinture n'exprimait rien... Je m'évertuais à comprendre la démarche de Jean CHEVOLLEAU, mais aussi de MOULY, de Jean CORNU, tous adeptes du Groupe de Puteaux. Le sachant grand académiste, je craignais que Marc SCHMIDT ne s'emporte devant une peinture aussi affranchie. Au contraire, il m'encouragea à m'essayer dans cette veine qu'il jugeait enthousiasmante et inspirée. 


Jean CHEVOLLEAU
Nu
Huile sur toile

Arrivé en Vendée, j'ai eu la chance de rencontrer Jean CHEVOLLEAU. Nous avions, outre la peinture, des centres d'intérêt communs : la pêche, la chasse, les chiens, la gastronomie... 

Je n'oublierai jamais ce repas chez Jean autour d'un robuste poulet de Bresse. 

Soudain, Jean me demande : "Au fait, quel est ton blanc préféré ?". Il parle de vin, naturellement. 

Sans vraiment réfléchir, je lui réponds : 

- "Je vais peut-être te décevoir, ce n'est pas un Bourgogne, c'est un vin du Midi assez peu connu : le Domaine d'Ott ". 

Jean ne fait qu'un bond : 

- " C'est incroyable, j'adore le Domaine d'Ott. Nous ne descendons jamais dans le Var sans en rapporter une caisse. Et ton rouge préféré ?". 

- " C'est un Bordeaux, mais sans doute le Bordeaux qui rappelle le plus les Bourgogne, car il a de fortes saveurs de fruits. C'est le Chateau Haut-Marbuzet".

Jean devient blême : 

- "Non, ce n'est pas possible ! Regarde ce que j'ai prévu sur le poulet !".

Il fonce à la cuisine et revient avec une bouteille de Haut-Marbuzet en répétant : 

- " Incroyable, incroyable, c'est aussi mon rouge préféré ".

J'ai croisé Jean à la fin de sa vie. Hélas, trop brièvement. Mais en quelques heures, il m'a fait gagner 10 ans dans mon approche de la peinture. Il me montrait notamment comment simplifier. 

Je n'oublierai jamais ses phrases-clés :

- " Calme ta peinture" ou " C'est plus facile d'en ajouter que d'en enlever ".

Il me montrait comment simuler une zone colorée sur la toile avec quelques bouts de papier journal déchirés à la main, comment prendre un croquis "au creux" de la main en moins de 2 minutes, comment mieux évaluer les équilibres en regardant la toile à l'envers ...



Jean CHEVOLLEAU
NOIRMOUTIER 
(Le port dans la ville)
Huile sur toile


 Je provoquai la rencontre entre Jean et Marc : je compris alors quelle pouvait être la complicité entre deux anciens des Beaux Arts de Paris. Un festival de souvenirs et, comme toujours chez Marc, un massif montagneux de choucroute...

Hélas, quelques mois plus tard, Jean nous quittait. 

Plus récemment, Marc est parti, lui aussi. L'éloignement géographique, mes obligations professionnelles avaient émoussé notre complicité. J'avouerai aussi qu'au fil du temps, Marc tenait un discours de plus en plus désabusé et sans indulgence sur l'évolution de la société. En tant qu'humaniste tolérant, j'avais du mal à entendre certaines phrases, même si je savais qu'au fond de lui-même Marc n'était que gentillesse et sensibilité. 

Alors, voila, je peins tout seul aujourd'hui. Je pense souvent à mes maîtres, mais davantage aux hommes qu'à leurs créations. Il fallait sans doute que je digère ces influences fondatrices pour me retrouver simplement avec ce que je sais et avec ce que je suis. 

Peindre de façon plus réaliste requiert en apparence un peu plus de technique, mais en cherchant bien, chacune de mes toiles actuelles cache quelques zones d'abstraction. 
Serait-ce un compromis ?

Mais j'ai aussi une autre piste. Lorsque je peignais la Vendée, j'habitais en Vendée. J'avais la Vendée sous les yeux tous les jours et toutes les nuits. Abstraire était devenu l'expression d'une familiarité. 

Aujourd'hui, je peins la Bretagne en la découvrant. J'ai cette distance qui implique une forme d'humilité et de respect. Je suis confronté à ces paysages d'une puissance invraisemblable, à cette terre imprégnée d'une culture si singulière.

Alors, c'est peut-être ce devoir de modestie qui me conduit à peindre comme je peins en 2014.

Je l'ignore... 



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